Bulletin de la sécurité africaine N° 25

Les opérations de paix en Afrique : Enseignements tirés depuis 2000

Par Paul D. Williams

25 juillet 2013


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Résumé

Plus de 50 opérations de maintien de la paix ont été déployées en Afrique depuis l’an 2000, y compris plusieurs initiatives menées par des Africains, et des initiatives hybrides Union Africaine/Nations Unies. La fréquence de ces déploiements souligne l’importance continue de ces opérations parmi les méthodes utilisées par des organismes régionaux et multilatéraux pour empêcher les conflits, protéger les civils, et faire respecter les cessez-le-feu et les accords de paix. Les opérations récentes ont présenté des objectifs plus ambitieux et des partenariats institutionnels plus complexes. Leurs accomplissements et leurs faiblesses offrent des leçons essentielles pour l’optimisation de cet outil qui devient de plus en plus central pour le règlement des conflits et l’instabilité, mais qui continue d’évoluer.

Photo: Tsidoti.

Photo: Tsidoti.

Points Saillants

  • Plus de 50 opérations de maintien de la paix ont été déployées en Afrique depuis l’an 2000.
  • Le « maintien de la paix en partenariat », qui implique une coopération entre divers acteurs et institutions multilatérales et bilatérales, est devenu de plus en plus commun.
  • Les efforts de génération des forces devraient porter sur le déploiement des capacités requises en vue de la réalisation des objectifs de la mission et pas seulement sur le nombre de soldats de la paix.
  • Les opérations de paix doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie politique efficace visant à la résolution des conflits, stratégie qu’elles ne sauraient remplacer.
  • Le maintien de la légitimité parmi les parties prenantes internationales et locales est une composante essentielle de la réussite des opérations.
  • Des divergences internationales persistent quant au but fondamental des opérations de paix, particulièrement pour ce qui a trait à l’usage de la force militaire.

Les conflits violents et le pouvoir des acteurs armés non étatiques restent des caractéristiques distinctives de l’Afrique au XXIe siècle. Les violences organisées ont fait des millions de morts et déplacé des multitudes encore plus grandes qu’elles ont exposées aux agressions, aux maladies et à la malnutrition. Ces violences ont également traumatisé toute une génération d’enfants et de jeunes adultes, brisé les liens de confiance et les structures d’autorité au sein des collectivités locales et entre elles, démantelé les systèmes d’éducation et de santé, perturbé les déplacements et mis à mal l’infrastructure des transports, et causé des dégâts incalculables à l’écologie du continent, à ses écosystèmes terrestres, ses cours d’eau, sa flore et sa faune. En termes financiers, les coûts directs et indirects des conflits survenus en Afrique depuis 2000 ont été estimés à près de 900 milliards de dollars EU1. Le double défi politique à relever est celui de la promotion des processus de résolution des conflits et de l’identification des entités capables de faire face aux acteurs armés non étatiques lorsque les forces de sécurité du gouvernement hôte s’avèrent inaptes à cet égard.

Que les groupes visés soient Al-Shabaab en Somalie, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ou les rebelles du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les djandjawid au Darfour (Soudan) ou Al-Qaïda au Maghreb islamique et Ansar al-Dine dans le nord du Mali, les opérations de paix se sont vu attribuer un rôle de premier plan dans la lutte contre ces « fauteurs de troubles2 ».

Après le retrait des forces internationales de maintien de la paix en Afrique, mené par les États-Unis à la suite de la catastrophe des hélicoptères Black Hawks survenue à Mogadiscio en octobre 1993, une nouvelle série d’opérations de paix a été lancée sur le continent à la fin des années 1990, en RDC, en Sierra Leone et en République centrafricaine. Au XXIe siècle, 52 opérations de paix ont été déployées dans 18 pays africains (voir le tableau), dont dix nouvelles opérations dans huit pays rien que depuis 2011. Ces opérations ont été menées par toute une gamme d’organisations internationales, principalement les Nations Unies, l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Quelques-unes ont également été entreprises par les autres communautés économiques régionales (CER) de l’Afrique et par des États distincts, principalement l’Afrique du Sud, la France et le Royaume-Uni.

Qu’est-ce qu’une opération de paix ?

Les opérations de paix font appel à un corps expéditionnaire de forces en uniforme (police et/ou forces armées) ayant pour mandat :

  • De contribuer à la prévention des conflits armés en appuyant un processus de paix ;
  • De servir d’instrument d’observation ou d’appui de l’application de cessez-le-feu ou d’accords de paix ;
  • D’assurer l’application de cessez-le-feu, d’accords de paix ou de la volonté du Conseil de sécurité des Nations Unies en vue de l’établissement d’une paix durable.

Elles comprennent des opérations des Nations Unies, autorisées par les Nations Unies ou menées par d’autres entités que les Nations Unies et qui peuvent être de dimensions variables, allant de petites missions d’observation et de réforme du secteur de la sécurité de moins de 50 personnes à des opérations multidimensionnelles auxquelles participent des dizaines de milliers de soldats, de policiers et de civils.

Au cours de cette période, l’Organisation des Nations Unies a été la principale entité assurant le maintien de la paix en Afrique ; elle a en effet dépensé plus de 36 milliards de dollars depuis la mi-2006 et elle y entretient actuellement quelque 70 000 soldats de la paix dans ses 11 opérations (plus son Bureau d’appui pour la mission de l’Union africaine en Somalie, l’UNSOA)3. Toutefois, depuis 2003, l’Union africaine a considérablement accéléré la cadence de ses missions dans le cadre de ses efforts de mise en œuvre de son nouveau principe de « non-indifférence ». C’est ainsi qu’elle a autorisé le déploiement de plus de 40 000 soldats de la paix au Burundi, aux Comores, au Darfour, en Somalie, en Afrique centrale et au Mali4. On a pu constater, tendance importante, une augmentation du nombre d’opérations menées en coopération par plusieurs institutions internationales, notamment les Nations Unies, l’Union africaine et l’Union européenne, et divers partenaires bilatéraux. Ce type de « maintien de la paix en partenariat » est devenu la nouvelle norme en Afrique, des États africains fournissant la majorité du personnel tandis que d’autres acteurs apportent des formes d’aide substantielle, sous forme de financement, formation, logistique et planification5.

Malgré l’environnement difficile dans lequel elles ont été déployées et les multiples tâches complexes qui leur ont été confiées, nombre de ces opérations se sont révélées être des outils efficaces de gestion des conflits6. Elles ont notamment apporté leur aide à des États qui effectuaient une transition malaisée de la guerre à la paix ; elles ont contribué à atténuer la gravité des crises humanitaires et à protéger les populations civiles ; elles ont modifié les motivations en faveur de la guerre et de la paix auprès des belligérants, parfois en exerçant activement des pressions sur les fauteurs de troubles ; elles ont contribué à la réduction de l’incertitude entre les diverses parties au conflit ; elles ont aidé à prévenir des accidents et à circonscrire des escarmouches qui auraient pu déboucher sur des situations de guerre ; et elles ont facilité le dialogue politique entre les groupes belligérants.

Mais ces opérations ont également suscité des controverses. Sur le terrain, les soldats de la paix n’ont pas toujours éteint les flammes de la guerre, affronté les groupes armés illégaux de manière efficace ou géré la situation pour protéger les civils victimes de la violence. Qui plus est, trop nombreux sont les soldats de la paix qui ont été accusés d’incompétence, de corruption ou d’exploitation sexuelle des personnes qu’ils étaient censés protéger. Le Secrétaire général des Nations Unies a déclaré au Conseil de sécurité en août 2011 qu’il y aurait des tensions et des disputes parce que « les groupes qui établissent le mandat des missions, ceux qui contribuent à fournir des personnels en uniforme et les principaux bailleurs de fonds sont des groupes distincts » de pays7. Il est apparu des disparités significatives entre les États qui prennent les décisions stratégiques relatives aux opérations de paix des Nations Unies et les États qui exposent leurs personnels aux risques sur le terrain. Bien que les États occidentaux aient fait pression en faveur d’opérations de plus en plus ambitieuses en Afrique, ils se sont montrés peu disposés à déployer leurs propres troupes et ont préféré apporter leur aide sous forme de financements, d’appuis logistiques et de formation. Sur le plan financier, le coût de ces opérations a accusé une hausse à une époque où les récents revers économiques mondiaux ont limité les ressources (depuis la mi-2008, le coût des opérations de paix des Nations Unies en Afrique dépasse cinq milliards de dollars par année budgétaire).

Enseignements clés

On peut tirer de multiples enseignements spécifiques des différentes missions, mais il y a aussi sept leçons générales qui méritent d’être soulignées.

Une stratégie politique efficace est une condition préalable du succès.

Les opérations de paix sont des instruments, pas des stratégies. Pour réussir, elles doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie politique efficace, à laquelle elles ne sauraient se substituer. En l’absence d’une stratégie politique viable, il faut se garder de voir dans les opérations de paix une réponse automatique à toutes les guerres. Comme l’a noté l’ancienne ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies Susan Rice, « les soldats de la paix ne peuvent pas tout faire et aller partout8 ». Tout d’abord, il est peu judicieux de déployer des opérations de paix dans des zones de guerre active si elles ne sont pas une composante d’un processus politique viable de gestion ou de résolution du conflit. Il faut également s’abstenir de déployer des soldats de la paix en l’absence d’une coopération active de la part du gouvernement du pays hôte ou de franchir ce que l’on a pu appeler « la ligne du Darfour », à savoir de « procéder à un déploiement lorsque l’État n’a pas (vraiment) donné son consentement9 ». Si des populations civiles se font massacrer par leur gouvernement et si la société internationale veut y mettre le holà, ce n’est pas une opération de paix qu’il faut mener mais une intervention militaire.

« Il est peu judicieux de déployer des opérations de paix dans des zones de guerre active si elles ne sont pas une composante d’un processus politique viable de gestion ou de résolution du conflit. »

La coordination stratégique est cruciale.

Les opérations de paix contemporaines en Afrique rassemblent des acteurs divers (États, organisations internationales et organisations non gouvernementales) qui travaillent dans le même environnement et il est donc d’une importance cruciale de veiller à une coordination stratégique de leurs actions. Cette coordination exige, pour avoir un maximum de chances de se réaliser, que les responsables politiques reconnaissent au moins trois choses. En premier lieu, étant donné que les différentes organisations ont toujours un ordre du jour qui leur est propre, la coordination est toujours aussi un processus politique et pas seulement un exercice technique. En deuxième lieu, les responsables politiques doivent veiller à ce que les acteurs appropriés, en particulier les pays fournisseurs de contingents et les membres de l’organisation autorisant l’opération, aient une vision semblable du but, du mandat et des règles d’engagement de l’opération. En troisième lieu, en Afrique, sur le plan pratique, de nombreux efforts de coordination stratégique doivent viser à définir une répartition judicieuse du travail au sein du polynôme complexe ONU-UA-UE-USA. Bien que les Nations Unies restent l’organisation la plus importante pour la conduite des opérations de paix en Afrique, l’Union africaine, l’Union européenne et les États-Unis jouent tous un rôle d’une ampleur croissante. Les divers partenariats doivent trouver le moyen de respecter l’autorité politique de l’Union africaine tout en évitant de surestimer les capacités actuelles de celle-ci en matière de déploiement et d’entretien d’opérations de paix sur le terrain. Il s’agit, point clé prioritaire, de clarifier les relations entre les CER africaines, les forces régionales en attente, la nouvelle « Capacité africaine de réponse immédiate aux crises » (CARIC)10 et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.

Nécessité d’un alignement des fins et des moyens.

Les opérations de paix n’ont guère de chances de réussir s’il ne leur est pas alloué les ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs objectifs. La question présente au moins deux aspects. Premièrement, les objectifs de l’opération doivent être énoncés sous forme de mandats clairs, crédibles et souples assortis de règles d’engagement appropriées. Les responsables politiques devraient, par exemple, éviter les casse-tête stratégiques tels que celui dont a hérité la MONUC/MONUSCO en RDC, à laquelle il a été demandé d’aider les gouvernements congolais successifs et leurs forces de sécurité ainsi que de protéger les civils, alors que ceux-là présentaient souvent une menace majeure pour ceux-ci. Et l’AMISOM s’est vu confier la tâche herculéenne de protéger à Mogadiscio un gouvernement de transition qui était reconnu sur le plan international mais profondément impopulaire dans de nombreuses régions de la Somalie.

Deuxièmement, une fois les mandats définis, les responsables des politiques doivent éviter les taux de vacance élevés (à savoir les écarts entre les niveaux de la force autorisés et le nombre réel des effectifs présents sur le terrain). Non seulement de tels écarts réduisent-ils l’aptitude de la mission à tirer parti de ce que l’on appelle « l’heure d’or », qui fait immédiatement suite à l’arrêt des combats, mais ils mettent également en évidence aux yeux des parties au conflit un manque de volonté politique au sein de/des organisation(s) autorisant l’opération. De tels taux élevés de vacance ont porté atteinte aux prestations de plusieurs opérations de paix, les exemples les plus notables étant peut-être ceux de la MINUAD durant sa première année et de l’AIMSOM lors de ses trois premières années à Mogadiscio. La réduction des taux de vacance serait facilitée si les Nations Unies et l’Union africaine établissaient un réservoir plus substantiel de pays fournisseurs de contingents et de forces de police fiables et trouvaient des moyens plus efficaces d’assurer le transport stratégique des effectifs à destination du théâtre d’opération11.

Tableau : Opérations de paix en Afrique depuis 2000

Tableau - Operations de paix en Afrique depuis 2000

Liste des acronymes

  • AMISOM = Mission de l’Union africaine (UA) en Somalie
  • AULMEE = Mission de liaison de l’UA en Éthiopie et en Érythrée
  • CEN–SAD = Communauté des États sahélosahariens
  • CMM = Commission militaire mixte
  • ECOMIB = Mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Guinée-Bissau
  • ECOMIL = Mission de la CEDEAO au Libéria
  • ECOMOG = Brigade de surveillance du cessezle-feu de la CEDEAO
  • EUFOR = Force de l’Union européenne (UE)
  • EUFOR RDCongo = Force de l’UE en République démocratique du Congo
  • EUSEC RDCongo = Mission de conseil et d’assistance de l’UE en matière de réforme du secteur de la sécurité en République
  • démocratique du Congo
  • EUTM Somalie = Mission de formation de l’UE en Somalie
  • EUTM Mali = Mission de formation de l’UE en Mali
  • FISNUA = Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei
  • FMIU = Force multinationale intérimaire d’urgence
  • FOMUC = Force multinationale en Centrafrique
  • ICR-LRA = Initiative de coopération régionale contre la LRA
  • IMU = International Monitoring Unit (Groupe d’observateurs internationaux)
  • MAES = Mission d’assistance électorale et sécuritaire aux Comores de l’UA
  • MIAB = Mission africaine au Burundi
  • MICECI = Mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire
  • MICOPAX = Mission de consolidation de la paix en Centrafrique
  • MINUAD = Mission hybride des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour
  • MINUCI = Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire
  • MINUEE = Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée
  • MINUL = Mission des Nations unies au Libéria
  • MINURCA = Mission des Nations unies en République Centrafricaine
  • MINURCAT = Mission des Nations unies en République Centrafricaine et au Tchad
  • MINURSO = Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental
  • MINUS = Mission des Nations unies au Soudan
  • MINUSIL = Mission des Nations unies en Sierra Leone
  • MINUSMA = Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali
  • MINUSS = Mission des Nations unies au Soudan du Sud
  • MIOC = Mission d’observation de l’UA aux Comores
  • MISMA = Mission Internationale de soutien au Mali sous conduite africaine
  • MISSANG-GB = Mission d’assistance technique et militaire de l’Angola en Guinée Bissau
  • MONUC = Mission des Nations unies en République démocratique du Congo
  • MONUSCO = Mission de l’Organisation des Nation unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
  • MUAS = Mission de l’UA au Soudan
  • MUASEC = Mission de l’UA pour le soutien aux élections aux Comores
  • OLMEE = Mission de liaison de l’OUA en Éthiopie et en Érythrée
  • OMIC = Mission d’observation de l’OUA aux Comores
  • ONUB = Opération des Nations unies au Burundi
  • ONUCI = Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire
  • OUA = Organisation de l’unité africaine
  • SAPSD = South African Protection Support Detachment [Détachement sud-africain d’appui à la protection]
  • UE RSS = Réforme du secteur de la sécurité, Union européenne (UE)

Définition et exécution d’opérations « robustes ».

En 2000, le Rapport Brahimi a conclu qu’une fois déployées, les opérations de paix devaient être fondées sur une doctrine robuste, une position de force et des règles d’engagement permettant aux contingents de « ne pas laisser l’initiative à leurs attaquants ». Ceci permettrait aux missions de s’acquitter des tâches dont elles ont été chargées ainsi que de dissuader leurs adversaires de faire usage de la force à l’encontre des soldats de la paix et des civils. Dans la pratique toutefois, nombre d’opérations de paix n’ont pas été capables de dissuader les fauteurs de troubles, de protéger les populations civiles et d’éviter que leurs personnels soient tués ou pris en otages. Les Nations Unies ainsi que l’Union africaine ont réalisé des progrès considérables dans la compréhension des tâches politiques et militaires requises pour protéger les civils et ces deux organisations ont élaboré des stratégies de protection des civils applicables à l’ensemble de la mission pour plusieurs de leurs opérations. Mais il s’agit de préciser avec plus de clarté les obligations des soldats de la paix concernant la protection active des civils dans les zones de conflit et les conditions et les modalités du recours à la force face aux acteurs non étatiques armés. Les opérations dans lesquelles il est envisagé de menacer de faire usage de la force ou d’en faire usage pour protéger leur mandat, les civils et leurs personnels doivent à l’évidence être autorisées en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. (Ceci inclut tous les arrangements de l’Union africaine et des forces régionales en attente.) Mais cela ne suffit pas pour clarifier les types de capacités militaires ou les règles d’engagement qui sont les plus appropriés pour une opération donnée.

Génération de capacités spécifiques aux missions, pas seulement d’effectifs.

La constitution des forces a toujours été une composante cruciale des opérations de paix. Mais pour réussir, les opérations de paix ne peuvent pas se limiter à déployer certains effectifs sur le théâtre des opérations. Elles doivent au contraire obtenir des effets politiques particuliers sur le terrain, par exemple contrôler les fauteurs de troubles, protéger les camps de personnes déplacées et les itinéraires logistiques, démobiliser les factions armées ou promouvoir la primauté du droit. Les responsables politiques doivent donc porter leurs regards au-delà d’étroites préoccupations concernant le nombre de personnels pour se concentrer sur les capacités requises pour produire les effets politiques désirés. Les capacités les plus importantes pour les opérations pluridimensionnelles sont les unités de génie et les unités médicales, des capacités sophistiquées dans le domaine des communications et de la logistique, le renseignement local et les unités de police constituées12 ainsi que les forces spéciales. Il convient d’ajouter à cette liste le besoin général d’éléments féminins (voir ci-après)  et de véhicules appropriés, notamment d’engins blindés transporteurs de troupes, d’hélicoptères et de véhicules aériens sans pilote.

Questions de légitimité.

Il est d’une importance primordiale pour le succès des opérations de paix de maintenir la légitimité de l’intervention aux yeux des publics concernés : parties au conflit, populations civiles locales, ONG internationales et gouvernements étrangers. On notera que les forces de maintien de la paix n’ont jamais le plein contrôle de leur légitimité, car celle-ci dépend des perceptions d’autres acteurs. Le fait que les groupes concernés puissent parvenir à des conclusions différentes quant à la légitimité d’un même acteur ou d’une même action vient encore compliquer la situation. Les opérations que les publics clés perçoivent comme légitimes ont plus de chances d’atteindre leurs objectifs, en particulier parce que cela facilite la constitution de la force et que la population locale appuie celle-ci, notamment en lui fournissant de bons renseignements. Les opérations perçues comme illégitimes éprouvent des difficultés sur ces deux points, ainsi que l’AMISOM, la MINURCAT et la MONUSCO l’ont constaté à divers points de leurs activités. On peut atténuer le potentiel de comportement illicite en dispensant une bonne formation aux soldats de la paix compte tenu des difficultés auxquelles ils seront vraisemblablement appelés à faire face sur le terrain, en leur apprenant à se conformer à un code de conduite professionnel, en les rémunérant suffisamment durant leur déploiement et en leur infligeant des sanctions appropriées s’ils se rendent coupables d’actes illicites. À cette fin, l’AMISOM, la MONUC/MONUSCO et la MINUAD ont toutes intensifié progressivement leurs efforts d’intégration de la protection des civils dans leurs  missions respectives, ce qui a eu pour résultats d’accroître leur légitimité locale, le respect du droit humanitaire international et leur efficacité sur le terrain.

« Il s’agit de préciser avec plus de clarté les obligations des soldats de la paix concernant la protection active des civils dans les zones de conflit et les conditions et les modalités du recours à la force face aux acteurs non étatiques armés. »

La présence de personnels féminins accroît l’efficacité opérationnelle des forces de maintien de la paix.

Bien que les femmes soldats de la paix soient encore peu nombreuses, leur présence se fait de plus en plus fréquente. Deux unités de police constituées exclusivement féminines, déployées par l’Inde au Libéria et par le Bangladesh en RDC, ont bénéficié d’une grande visibilité. Dans les missions des Nations Unies, de l’Union africaine ou de l’Union européenne, les femmes soldats de la paix ont accru et accroissent l’efficacité opérationnelle de plusieurs manières13. Non seulement leur présence contribuet-elle à la réalisation des objectifs d’égalité des sexes de ces institutions, mais elle renforce aussi notablement la connaissance de la situation et l’acceptation de la force par les communautés locales. Les femmes locales trouvent plus facile de déclarer les incidents d’agression sexuelle à des femmes soldats et la présence de celles-ci au sein des missions peut réduire le nombre d’actes d’exploitation et d’abus sexuels de la part des soldats de la paix. Les personnels féminins peuvent être mieux à même de s’acquitter de certaines fonctions de sécurité que leurs homologues masculins, notamment pour les fouilles corporelles, le travail dans les prisons de femmes et le triage des femmes combattantes lors des activités de désarmement, démobilisation et réintégration.

Implications pour les politiques

Clarifier le but des opérations de paix.

Il faut définir plus clairement les tâches dont les opérations de maintien de la paix devraient s’acquitter (et celles qui sont hors de leur portée) et forger un consensus plus large sur ce point. Les Nations Unies et l’Union africaine ont actuellement des principes divergents sur le but des opérations de paix. Sur la base d’une expérience de plus de six décennies et de quelque 70 missions, les Nations Unies considèrent qu’une « opération de maintien de la paix » a peu de chances de réussir lorsqu’une ou plusieurs des conditions suivantes ne sont pas en place : 1) une paix à maintenir, où la signature d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix est un indicateur important (mais pas le seul) d’une authentique volonté de paix de la part des parties en présence ; 2) l’engagement positif de la région ; 3) l’appui total d’un Conseil de sécurité uni ; et 4) un mandat clair et réalisable accompagné de ressources adéquates. Les Nations Unies ont donc formulé trois principes de base qui régissent leurs opérations : 1) le consentement des parties, et notamment celui du gouvernement du pays hôte ; 2) l’impartialité ; et 3) le non recours à la force sauf en cas de légitime défense et de défense du mandat14. L’Union africaine, quant à elle, fait valoir que ses « opérations d’appui à la paix » doivent pouvoir relever l’ensemble des défis que présente la gestion des conflits et elle a critiqué la doctrine onusienne qui, selon elle, ne permet pas d’imposer la paix dans les zones en proie aux conflits, telles que la Somalie, la RDC et le Mali. Contrairement aux Nations Unies, elle a donc élaboré « une doctrine de maintien de la paix différente : au lieu d’attendre la réalisation de la paix pour la maintenir, l’Union africaine perçoit le maintien de la paix comme une occasion de rétablir la paix, avant de pouvoir la maintenir15 » . Il faut, à l’évidence, parvenir à un compromis réalisable concernant les objectifs fondamentaux des opérations de paix. L’Union africaine doit, d’une part, trouver les moyens de constituer des forces, de les déployer et de les maintenir dans des théâtres dont les Nations Unies estiment qu’ils ne sont pas appropriés pour leurs opérations de maintien de la paix et les Nations Unies doivent, d’autre part, trouver un moyen de répondre aux crises dans les situations où les conditions qu’elles considèrent optimales pour leurs opérations de maintien de la paix ne sont pas réunies.

Prioriser les opérations de paix pour appuyer des processus de paix efficaces.

Les responsables des politiques devraient allouer davantage de ressources à la conception de processus de paix efficaces ciblant les causes ainsi que les symptômes des conflits armés. Le bien-fondé du déploiement d’une opération de paix donnée devrait être évalué en prenant directement en considération les perspectives d’établissement d’un processus de paix pouvant aboutir. Les difficultés inhérentes à la conduite d’opérations de paix efficaces dans le contexte de processus de paix dans l’impasse ou non durables ainsi qu’on a pu le constater au Soudan, en Somalie, en RDC et en Côte d’Ivoire soulignent l’importance de ce point. L’élaboration de processus de paix efficaces ne dépend jamais exclusivement d’un accroissement des ressources financières qui y sont attribuées, encore qu’une allocation judicieuse de fonds ait généralement son utilité ; elle exige en fait la mise en œuvre d’activités de médiation de qualité et soutenues, dues aux bons offices de personnalités politiques de haut niveau ainsi que d’un appui organisationnel accru. Cependant, les Nations Unies ne disposent que d’une petite équipe de médiateurs disponibles alors que l’Union africaine ne possède aucun spécialiste en médiation. Par ailleurs, des médiateurs et leurs équipes qui sont présents en permanence dans la région concernée ont plus de chances d’avoir un impact positif que des envoyés spéciaux dépêchés en visites éclairs dans la zone de conflit.

Concevoir de meilleures stratégies d’entrée et de sortie.

Les questions fondamentales de savoir quand et où il y a lieu de déployer des opérations de paix et quand elles devraient s’achever ne sont pas débattues. S’agissant du début des opérations, il faut s’arrêter davantage à la question du consentement pour déterminer quelles sont les parties dont le consentement est essentiel, celles dont le consentement est souhaitable mais pas indispensable et quelle conduite il y aura lieu de tenir si ces acteurs retirent leur consentement ou imposent des conditions supplémentaires une fois les soldats de la paix déployés. Les responsables politiques doivent décider en particulier quel rôle les opérations de paix peuvent jouer pour empêcher un gouvernement en place de commettre des atrocités envers la population du pays. Il est donc éminemment regrettable que la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies par laquelle celui-ci autorisait l’usage de la force militaire pour protéger les civils en Libye en 2011 ait suscité de vifs désaccords avec l’Union africaine (et au sein de l’Union africaine). Plus le niveau de consensus international atteint sur ces questions fondamentales est élevé, mieux cela vaut. Ceci revêt une importance particulière pour les opérations dont le mandat comporte une composante d’édification de l’État ainsi que pour celles qui aident à renforcer l’autorité de l’État face à des adversaires armés (cas, par exemple, de l’AMISOM, de la MONUSCO, de la MINUSS et de la MISMA/ MINUSMA).

Investir davantage de ressources et mieux.

Les échecs des opérations de paix portent gravement atteinte à la crédibilité de l’organisation concernée, font énormément de tort aux populations civiles locales et vont même parfois jusqu’à mettre en danger la notion même de maintien de la paix. En conséquence, une fois la décision prise de déployer une opération, il y a lieu de consentir des efforts maximum pour assurer le succès de celle-ci. Il pourra ainsi se constituer au fil du temps une masse critique de missions réussies qui dynamiseront le concept du maintien de la paix et renforceront la crédibilité du Conseil de sécurité des Nations Unies et des autres acteurs du maintien de la paix tels que l’Union africaine et l’Union européenne. Les forces de maintien de la paix méritent donc que l’on leur alloue des ressources plus substantielles et meilleures pour s’acquitter des nombreuses tâches qui leur sont confiées. Il faut en particulier des ressources pour permettre aux missions d’éviter d’imposer des contraintes excessives à leurs personnels, à leurs avoirs/capacités, à leurs finances et à leurs fonctions centrales de commandement et de contrôle. Les manques de personnels et de capacités que nous avons évoqués ci-dessus devraient être relativement faciles à combler si les premières puissances militaires du monde décidaient d’engager plus sérieusement leurs capacités spécialisées dans les opérations de paix des Nations Unies. L’Union africaine s’emploie également à formuler ses propres stratégies de génération de forces ainsi qu’à persuader davantage d’ États membres à former puis à déployer leurs troupes et leurs forces de police dans le cadre de ses opérations. S’agissant des structures de commandement et de contrôle, il est nécessaire d’affecter des personnels de gestion expérimentés plus nombreux au secrétariat compétent des principales organisations, en particulier des planificateurs militaires auprès de l’Union africaine. En termes financiers, les coûts des opérations de paix ont augmenté, vu les tâches de plus en plus nombreuses attribuées à celles-ci, souvent dans des régions reculés présentant un environnement peu hospitalier. La bonne nouvelle est que comparé aux opérations menées par les puissances militaires du monde les plus avancées membres de l’OTAN, le maintien de la paix des Nations Unies et de l’Union africaine est efficace par rapport au coût. Au XXIe siècle, les Nations Unies ont de façon constante déployée sur le terrain 100 000 personnels de maintien de la paix en uniforme à un coût d’environ sept milliards de dollars par an et elles réalisent à présent des économies supplémentaires grâce à leur stratégie globale d’appui aux missions. Par comparaison, ceci représente moins de 0,5 % des dépenses militaires mondiales.

Recruter davantage de civils.

L’établissement d’une paix qui se maintient d’elle-même exige autre chose que l’exécution de tâches spécifiques de nature militaire. Il exige aussi toute une gamme de capacités civiles16. En conséquence, les opérations de paix actuelles doivent renforcer leurs composantes civiles, en particulier leur force de police et leur personnel civil spécialisé dans les domaines du droit, du génie, des affaires civilo-militaires et du développement. Les Nations Unies et l’Union africaine s’emploient toutes deux à développer leurs répertoires de spécialistes civils et de forces de police disponibles et leurs capacités de déploiement rapide. Mais il reste bien plus à faire et il est souvent difficile de trouver des civils compétents en nombre substantiel qui sont disposés à travailler dans le cadre d’opérations de paix et capables de le faire. Trois conclusions émergent de ces efforts en cours. La première est qu’il serait logique d’embaucher davantage sur le plan local pour remédier aux déficiences tenant à la culture, aux capacités linguistiques et aux connaissances dont souffrent souvent les opérations de paix. La seconde est que davantage de ces personnes recrutées sur le plan local devraient être des femmes : les femmes locales contribuent à l’autonomisation féminine dans les zones de conflit, comme le font aussi les personnels féminins internationaux, en partie pour les raisons mentionnées plus haut. La troisième conclusion est qu’il est important de constituer une réserve plus vaste de cadres de mission hautement qualifiés, ce qui ferait beaucoup pour résoudre ces difficultés liées aux capacités.

Le Prof. Paul D. William est professeur associé à la « Elliot School of International Affairs » de l’Université George Washington. Understanding Peacekeeping [Comprendre le Maintien de la Paix], 2ème édition (Polity Press, 2010) fait partie de ses nombreuses publications.

Notes

  1. Peter Ulvin, Ex-Combatants in Burundi: Why They Joined, Why They Left, How They Fared, document de travail no 3 (Washington, DC: Banque mondiale, octobre 2007), 11.
  2. MDRP Rapport final : Vue d’ensemble des résultats du programme, (Washington, DC: Banque mondiale, 2010), 24.
  3.  James Pugel, « What the Fighters Say: A Survey of ExCombatants in Liberia February-March 2006 », Programme des Nations unies pour le développement, avril 2007. Macartan Humphreys et Jeremy M. Weinstein, « Demobilization and Reintegration », Journal of Conflict Resolution 51, no. 4 (2007): 549.
  4. Pugel, 66.
  5. Nelson Alusala, Reintegrating Ex-Combatants in the Great Lakes Region: Lessons Learned (Pretoria: Institute for Security Studies/Institut d’études de sécurité, 2011), 96.
  6. Guy Lamb, Nelson Alusala, Gregory Mthembu-Salter et Jean-Marie Gasana, Rumours of Peace, Whispers of War: Assessment of the Reintegration of Ex-Combatants into Civilian Life in North Kivu, South Kivu and Ituri Democratic Republic of Congo (Washington, DC: Banque mondiale, 2012), 17-20.
  7. Humphreys et Weinstein, 563.
  8. Henning Tamm, « “Coalitions and Defections in a Context of Uncertainty – A Report from Ituri (Part I & II) », Congo Siasa, 27 août, 2012.
  9. Henri Boshoff, « Completing the Demobilisation, Disarmament, and Reintegration Process of Armed Groups in the Democratic Republic of Congo and the Link to Security Sector Reform of FARDC: Mission Difficult! », Institute for Security Studies/Institut d’études de sécurité, 23 novembre 2010, 3.
  10.  Lamb, Alusala, Mthembu-Salter et Gasana, 9.
  11. « Troubles in the Integration of Armed Groups »,Congo Siasa, 14 juin 2011.
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  13. Anthony Finn, « The Drivers of Reporter Reintegration in Northern Uganda », Banque mondiale, janvier 2012, 2, 17, et 20.
  14. « Lack of Funding Stalls Ex-Combatants’ Reintegration », IRIN, 18 juin 2012.
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  16.  Ibid.
  17.  Guy Lamb, Assessing the Reintegration of Ex-Combatants in the Context of Instability and Informal Economies: The Case of the Central African Republic, the Democratic Republic of Congo and South Sudan (Washington, DC: Banque mondiale, 2012), 60. Alusala, 2011, 9.
  18.  Natacha Lemasle, « From Conflict to Resilience: ExCombatant Trade Associations in Post Conflict », Banque mondiale, janvier 2012.
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  20. Séverine Rugumamu et Osman Gbla, « Studies in Reconstruction and Capacity Building in Postconflict Countries in Africa: Some Lessons from Sierra Leone » The African Capacity Building Foundation/Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, mai 2004.